
Ethiopie : Pourquoi le barrage de la renaissance suscite des controverses ?

Mis en service ce 20 février 2022, le Grand Barrage de la Renaissance en Ethiopie suscite de vives tensions entre Addis-Abeba et les pays situés en aval de l’ouvrage, notamment l’Egypte et le Soudan. Tentative d’explications…
Il sera, à terme, le plus grand barrage d’Afrique. Et sa centrale hydroélectrique, la plus puissante du continent. En effet, le barrage de la Renaissance (appelé aussi GERD, pour Grand Ethiopian Renaissance Dam), est cet ouvrage hydroélectrique construit sur le Nil bleu, dans l’ouest de l’Ethiopie, à proximité de la frontière soudanaise.
Ce gigantesque réservoir d’eau, dont les travaux ont été lancés en 2013, alimente une centrale hydroélectrique, dont la première des 13 turbines a été mise en service ce 20 février 2022.
Un moment de fierté nationale après près de 10 ans des travaux. “Cette journée, pour laquelle les Ethiopiens ont tant sacrifié, que les Ethiopiens ont tant espérée, pour laquelle ils ont tant prié, cette journée est enfin là”, s’est réjoui un haut responsable du pays, présent à cette inauguration.
La coupure du ruban lors de l’inauguration du barrage, ce 20 février 2022
“C’est une bonne nouvelle pour notre continent et pour les pays en aval avec lesquels nous aspirons à travailler ensemble”, s’est, pour sa part, félicité le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed.
Avec cette allusion faite à l’endroit pays situés en aval, le prix Nobel de la paix 2019 entend ainsi décrisper l’atmosphère tendue depuis le lancement de ce projet.
Le partage des eaux
En effet, Le Nil Bleu, qui prend sa source en Ethiopie, rejoint le Nil Blanc à Khartoum et traverse le Soudan et l’Egypte avant de se jeter dans la Méditerranée. Ces eaux venues des plateaux éthiopiens représentent 86 % de l’eau consommée en Égypte. Extrêmement dépendants du Nil, une série de traités coloniaux avaient accordés l’exclusivité des ressources hydriques du Nil à l’Egypte et au Soudan.
Le Caire tirant, par exemple, 97% de ses réserves en eau de ce fleuve, il craint ainsi que la vitesse de remplissage du GERD aura des conséquences sur le débit du Nil en aval. Une crainte par ailleurs justifiée, car si le taux de remplissage tel que prôné par l’Ethiopie (entre 03 et 05 ans) demeure, cela entrainerait une réduction des terres cultivables en Egypte de 67% par an. C’est pourquoi le pays des pharaons, auquel s’est associé Khartoum, prônent un remplissage sur 21 ans, qui limiterait la réduction des surfaces agricoles à seulement 2,5% par an.
Une question de puissance
Mais le partage des eaux n’est pas le seul sujet de discorde. Il est également question ici de puissance et de souveraineté.
Avec ses 1800 mètres de longs et 145 mètres de haut, sa puissance de 6450 MW ainsi que son réservoir qui permettra de retenir 74 milliards de mètres cubes d’eau, le GERD doublera voire triplera les capacités de production d’électricité Ethiopienne. Une émergence que verrais d’un mauvais œil l’Egypte, jusqu’ici principale puissance économique et militaire de la Région.
Du côté d’Addis-Abeba, c’est également une question d’union et de fierté nationale. D’ailleurs, l’ouvrage a été entièrement financé par l’Ethiopie, qui a mis à contribution toute sa population et sa diaspora, à hauteur de 3,7 milliards d’euros.
A l’opposé de ces deux protagonistes, le Soudan, quant à lui, reste ambigu dans cette lutte hégémonique. Car Khartoum est partagée entre les risques encourus et les bénéfices qu’il tirera. S’il est en droit de craindre d’un côté le contrôle éthiopien sur le Nil, il voit aussi dans ce barrage une opportunité de se fournir en énergie à moindre coût.
Des négociations bloquées par Addis-Abeba
Pour le moment, les points de discorde entre ces trois états ont déjà été négociés à 90%. La signature d’un accord juridique régissant le remplissage et l’exploitation du GERD, réclamée par l’Egypte et le Soudan, mais refusée par l’Ethiopie, reste le point de blocage majeur des négociations.
Et ce n’est pas cette déclaration du premier ministre éthiopien qui viendra rassurer ses voisins quant à une issue favorable .
Le premier ministre éthiopien lors de l’inauguration du barrage, le 20 février 2022
“Comme vous le voyez, cette eau génère de l’énergie puis continue de couler comme avant vers le Soudan et l’Egypte, contrairement aux rumeurs qui affirmaient que les Ethiopiens voulaient bloquer l’eau pour les affamer”, a en effet affirmé Abiy Ahmed…
Guy Sandy